Explication de vote : Proposition de loi visant à interdire les jets privés

Retrouvez ci-dessous le texte intégral de l'intervention d'explication de vote de Mme la députée Christine Arrighi à l'Assemblée nationale, prononcée le jeudi 6 avril 2023.

Madame la ministre,

Monsieur le rapporteur, 

Mes chers collègues, 

 

« Il faut que tout change pour que rien ne change » disait Tancrède  Falconeri dans le Guépard. Et en effet, si nous voulons transmettre aux générations futures une planète habitable pour que rien ne change, nous devons tout changer et être des législateurs déterminés pour « un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », comme le disait Gro Harlem Brundtland, Première Ministre norvégienne en 1992 au Sommet de la Terre à Rio.

 

C’est dans cette lignée que s’inscrivent toutes les propositions de loi que nous avons choisi de vous présenter aujourd’hui : alimentation saine ; meilleure prise en compte des conséquences du changement climatique sur les biens immobiliers ; protection de la jeunesse contre la précarité ; accès sécurisé à la nature et bien évidement réduction de la pollution en encadrant l’utilisation des jets privés. 

 

Ce texte que nous étudions en ce moment même s’inscrit dans une approche globale : celle des mobilités de manière générale et du transport aérien en particulier puisque l’avion est aujourd’hui le moyen de transport le plus fortement émetteur de CO2. 

 

Selon l’ADEME, l’avion émet 145 grammes de CO2 par kilomètre parcouru et par personne transportée, ce qui représente 171% des émissions de la voiture, 725% des émissions en bus et 1450% des émissions en train. 

 

Un aller-retour Paris-New-York pour une personne émet autant de CO2 que la consommation annuelle du domicile d’une personne. Pour un passager, un vol Paris-Marseille émet 45 fois plus de CO2 qu’un parcours en TGV sur la même distance.

 

Un état des lieux de la politique publique du transport aérien permet de déceler un vaste éventail de mesures avantageuses pour ce secteur, en totale contradiction avec les engagements français et européen de réduction des gaz à effet de serre.

 

Cet état des lieux met également en lumière une fiscalité particulièrement avantageuse pour le transport aérien en Europe et notamment en France, au détriment du climat. A titre d’exemples : 

 

  • Le kérosène est complètement exonéré de TICPE et de TVA contrairement aux autres modes de transport, hormis le fioul maritime. 

  • Le taux de TVA est réduit (10%) sur les billets achetés pour des vols nationaux et un taux à zéro de TVA est appliqué sur les billets internationaux. 

  • La taxe de solidarité est faible en comparaison d’autres taxes appliquées aux billets à l’étranger. 

 

A cela s’ajoute la frilosité du gouvernement, notamment sur la suppression des vols intérieurs courts pourtant inscrite à l’article 145 de la loi climat et résilience qui a limité l’interdiction des vols intérieurs « dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance à une durée inférieure à 2h30 »


Les critères fixés par la loi devaient aboutir à la fermeture de cinq lignes exploitées par Air France : Paris-Bordeaux, Paris-Lyon, Paris-Nantes, Paris-Rennes et Lyon-Marseille. Les lignes en correspondance, elles, allaient pouvoir être exemptées. A ce propos, nous attendons toujours le décret d’application.


Cette mesure est bien plus favorable que celle proposée par la Convention citoyenne pour le climat qui prévoyait la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025 « sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps, sur un trajet de moins de 4 heures ».

L’analyse de vos politiques publiques des transports, permet de conclure aisément que la France est un véritable « paradis fiscal » pour le transport aérien. 

 

Ainsi, alors que le transport aérien a des effets considérablement plus néfastes sur l’environnement que les autres types de transport, il bénéficie d’une fiscalité et de soutien public très avantageux, bien davantage que d’autres modes de transports dont le ferroviaire. 

 

Pourtant, alors que l’Etat a un besoin urgent de financement très conséquent en faveur d’investissements vertueux dans les infrastructures de transport, le transport aérien continue à ne pas être mis à contribution à hauteur de son impact environnemental conduisant ce secteur à proposer des prix sans rapport avec le coût économique réel.

Ce constat général fait, venons-en à la question précise des jets privés.


Les vols en jets privés sont emblématiques de l’injustice sociale, environnementale et fiscale du transport aérien. Quelques statistiques pour illustrer l’impact de ces aéronefs sur notre environnement tout en gardant en tête le comparatif précédemment exprimé entre les différents modes de transport – avion, voiture, bus, train : 

 

  • Les jets privés émettent jusqu’à 14 fois plus de CO2 qu’un vol commercial, et 50 fois plus que le même trajet en train.

  • 40% des jets privés volent à vide et les jets privés représentent pourtant près de 10% des vols commerciaux.

  • Un jet privé émet autant de CO2 en quatre heures de vol qu’une Française ou un Français moyen en une année. 

  • Près de 60 % des émissions générées par les jets privés en France sont liées à deux aéroports, Paris-Le Bourget et Nice-Côte d’Azur.

  • Les vols en jet privé au départ de Nice triplent pendant les mois d’été quand on nous dit.

Malgré leur impact démesuré sur le climat, les jets privés ne sont pas taxés en raison des exemptions prévues par le système européen d’échange de quotas de CO2 (EU ETS) et de la non-taxation du kérosène.

En France, depuis la loi de finances de 2023, le taux d’imposition du carburant des jets privés est identique à celui de l’essence de façon très exceptionnelle, ce qui procure un avantage fiscal aux riches par rapport à ceux qui voyagent en voiture ou en train. En plus du désastre environnemental, c’est un open bar fiscal pour les jets privés et c’est la triple peine environnementale, fiscale et sociale pour nos concitoyens !

Malgré ces réalités incontestables, la proposition de loi objet de notre discussion suscite une hostilité particulière de la droite notamment de la part de Monsieur Villedieu du Rassemblement national qui la qualifie de « totalitaire, négative et inefficace » démontrant par là le déni du Rassemblement national face aux enjeux écologiques et son mépris total pour les Françaises et les Français de la classe moyenne que ses députés prétendent pourtant défendre. 

 

Parmi les 49 amendements à discuter, 17 amendements de suppression : 5 du Rassemblement national, 2 de Mme Ménard, 6 des Républicains, 2 de Renaissance et 2 de LIOT. 

 

17 amendements de suppression de la mesure qui pénalise le moins de monde pour l’impact le plus grand et le plus immédiat en faveur du climat.

 

Ce texte n’est pas radical. Il propose des exceptions et des aménagements permettant le maintien de trajets en aéronefs. Il ne s’agit donc pas d’une opposition à l’aviation comme on a pu l’entendre. 

 

La justice sociale et les enjeux environnementaux nous imposent de tenir compte des réalités. En voici une : 

 

  • Chaque année, 1 000 vols sont effectués en jets privés entre Paris et Nice et polluent autant que 40 000 familles qui effectuent le même trajet avec une voiture thermique. 


Le texte que nous vous proposons n’est donc pas une mesure « totémique et inutile » comme l’affirme Madame Ménard dans ses amendements de suppression. Il s’agit d’une mesure sociale et environnementale, préoccupation dont Madame Ménard semble peu se soucier. 

 

Alors j’ai aussi lu dans les amendements de Monsieur Damien Adam et ses collègues du groupe Renaissance que cette proposition de loi serait inconstitutionnelle parce qu’elle serait contraire à la liberté d’aller et venir que la Constitution consacre et à la liberté d’entreprendre. 

 

Il semble que celles et ceux qui mettent en avant ces arguments, ignorent que la liberté d’entreprendre peut parfaitement faire l’objet d’un encadrement, en rapport avec la Charte de l’environnement. Cette Charte à valeur constitutionnelle fait partie du bloc de constitutionnalité et consacre le principe de précaution (article 5 de la Charte), le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et des équilibres naturels (article 1er de la Charte). Je me permets donc de vous le rappeler. Vous semblez ne pas bien maîtriser notre texte suprême dans la hiérarchie des normes

 

A titre d’exemple, ailleurs, en février 2020, la Cour d’appel d’Angleterre a jugé illégal le projet de construction d’une troisième piste pour l’aéroport d’Heathrow à Londres, faute de prise en compte des engagements climatiques du Royaume Uni. 

 

Cette décision n’est pas une opposition à la liberté d’entreprendre mais plutôt la nécessité d’une juste conciliation de celle-ci avec les enjeux environnementaux. D’ailleurs, l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol aux Pays-Bas a annoncé mardi dernier l’interdiction prochaine des jets privés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. 

 

Ces exemples me permettent donc de préciser à Madame Alexandra Masson que les écologistes ne sont pas dans une « posture d’interdiction basée sur des raisons purement idéologiques » comme elle et ses collègues du Rassemblement national ont pu le dire dans leurs amendements de suppression. Ils souhaitent juste le respect et l’application de la Constitution.

 

Notre proposition de loi répond également à des enjeux de Santé publique. Je rappelle à ce titre que selon Santé publique France, la pollution de l’air entraîne entre 48 000 et 80 000 décès prématurés par an soit à minima 10 % de la mortalité en France et une perte d’espérance de vie à 30 ans pouvant dépasser deux ans. 

 

Au-delà des considérations de coût financier de cette situation, s’ajoutent les effets des vols en jets privés sur la santé physique et psychique des populations. Dans la ville de Stains située sur le territoire du Bourget en Ile-de-France, premier aéroport d’aviation d’affaires en Europe avec un trafic qui a explosé ces dernières années, l’Observatoire du bruit en Ile-de-France fait remarquer que les Stanoises et les Stanois perdent plus de 21 mois d’espérance de vie en bonne santé.  


Lorsqu’on voit qu’un jet émet à peu près deux tonnes de CO2 en seulement une heure avec un taux d’occupation moyen de 4,7 passagers, alors même qu’une personne émet environ 8 tonnes de CO2 pendant une année entière, il est évident qu’il faut agir pour plus de justice environnementale et sociale. C’est bien le sens de cette proposition de loi.  

 

Avec un humour particulièrement moqueur, l’amendement de suppression de Madame Véronique Louwagie précise que « le secteur aérien privé représente près de 120 000 emplois directs et indirects en France contrairement à la filière vélo qui en compte 13 000 », mettant ainsi en relation des choses qui n’ont rien à avoir. Je rappelle que nous ne proposons pas d’aller à Tokyo à vélo.  

 

Puisque vous semblez vous préoccuper des emplois, je vous renvoie donc à Schumpeter et sa théorie économique de la destruction créatrice ; théorie qui a toujours guidé votre courant politique. En demandant aux entreprises d’innover davantage avec des moteurs moins énergivores, des carburants durables (les SAF) et l’adaptation aux enjeux de notre temps, nous œuvrons à leur compétitivité sur les marchés innovants et à un leadership qui garantit la demande et donc le maintien des emplois. Je sais de quoi je parle en tant que députée de Toulouse, ville de l’aéronautique par excellence.

 

Je vous précise également, Madame Louwagie, que la proposition de loi n’ignore pas « la sécurité des personnes notamment des Chefs d’États pouvant être confrontés à l’insécurité s’ils prenaient des avions de type public » comme vous l’avez écrit dans votre amendement de suppression. Tenant compte de cette situation, l’alinéa 2 de l’article premier du texte précise que la mesure « ne s’applique pas aux vols exécutés par des aéronefs d’État »

 

Notre proposition de loi va dans le sens d’un juste effort des plus riches. Elle est juste socialement car elle demande aux ultra-riches un effort en solidarité avec les autres Françaises et Français. Elle est juste d’un point de vue environnemental car elle permet de réduire la pollution qui pèse sur l’ensemble de la population. 

 

Évidemment, ce texte à lui seul, ne suffira pas à sauver le climat mais il s’inscrit résolument dans une exigence d’exemplarité quand on demande justement au plus grand nombre d’adapter ses habitudes de mobilité à travers la mise en place des zones à faibles émissions mobilité (Zfe-m) afin de contribuer à la lutte contre la pollution et le changement climatique. 

 

L’absence d’un ruissellement naturel du capitalisme nécessite la mise en place de mécanismes d’incitation pour faciliter son ruissellement vers l’écologie. En ce sens, la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, qui relève fondamentalement d’un choix politique, est le bon levier complémentaire à actionner pour orienter les choix des acteurs économiques vers un avenir plus durable, plus écologique.

 

A l’heure du dérèglement climatique, les efforts doivent être consentis par tous. C’est à cette seule condition que l’acceptabilité sociale de la transition écologique et énergétique sera assurée. 

 

Je vous invite donc à nous emboîter le pas en votant en faveur de ce texte qui, je le rappelle, pénalise le moins de monde pour l’impact le plus grand et le plus immédiat en faveur du climat. Adoptons ce texte pour concrétiser les attentes de la majorité de nos concitoyens.

Je vous remercie.

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